Patrimoine-s : approches intégrées, PCI et participation en Italie. Le terrain de Cocullo, pays de la montagne méditerranéenne

 

 Valentina Lapiccirella Zingari

 

Point de départ de la réflexion, les changements induits par la Convention Unesco pour la Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Changements qui se matérialisent, en premier lieu, dans la reconnaissance des divers acteurs impliqués dans les processus de « heritage-making ». Si la « Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire » de 1989 voyait comme protagonistes les Etats, les Institutions et les chercheurs, la Convention de 2003 pose au cœur du dispositif de désignation du « patrimoine immatériel » et de sa sauvegarde, les « communautés, groupes et individus » protagonistes et responsables de sa transmission.

Mais la Convention ne se limite pas à déclarer la nécessité de la participation des acteurs, elle institue aussi, parmi ses mécanismes, à coté des Listes (LSU et LR), du Registre des meilleures pratiques de sauvegarde et du Fond pour l’assistance internationale, un système d’accréditation des ONG. Ces associations de la société civile peuvent, de manière autonome par rapport à leurs Etats, rentrer dans le système de la Convention. Par ce bais, les ONG peuvent renforcer leurs actions en faveur de la sauvegarde à différents niveaux : local, national et international.  

En 2010, au Comité de Nairobi, un groupe d’ONG accrédités (parmi ces ONG Simbdea, www.simbdea.it) organise le premier forum des ONG, selon un projet favorisé par la secrétariat de la Convention, qui se donne comme objectif prioritaire celui de structurer et renforcer le rôle des ONG, souffrant souvent d’un manque de reconnaissance et d’impact par rapport aux politiques culturelles de leurs Etats et au fonctionnement de la Convention.

Des nombreux chercheurs (notamment des chercheurs en sciences humaines et sociales) participent  à ces rencontres, essayant d’y apporter une contribution et de faire réseau. A Bruxelles, en 2013, une rencontre internationale fait le point sur le « nouveau » rôle des chercheurs en tant que médiateurs et « cultural brokers », au sein des terrains qui peuvent être rattachés, au moins en partie, au mouvement social, culturel et politique crée par la Convention, à travers le système des candidatures aux listes mais aussi de manière plus large dans le partage de « l’esprit de la Convention » et d’une vision du patrimoine culturel comme lieu de droits et responsabilités. Les actes du colloque qui mobilise des nombreux ONG et chercheurs européens, sont en ligne sur le site du forum, www.ichngoforum.org.

Dans cette même année, en Italie, une rencontre internationale est organisée par Simbdea avec le soutien de la Région Lombardie et la participation d’un grand nombre d’ONG réunies dans un projet de création d’un réseau italien des ONG. Des experts internationaux, comme Marc Jacob, Antono Arantes, Chiara Bortolotto et Tullio Scovazzi apportent une contribution de réflexion à ce projet.

Les projets de réseau des ONG poursuivent leur route, au niveau international avec les activités du forum et des nombreux colloques (Barcelone en juin 2015, Edinbourg en novembre 2015) ainsi qu’avec des projet européens, et au niveau national, avec des initiatives conjointes et des conventions de collaboration entre les ONG.

Mais c’est au niveau local, sur des micro-terrain participatifs, comme le terrain de Cocullo en Italie, que les évolutions sont les plus intéressantes et complexes.

Cocullo est un petit village de la montagne des Abruzzes, région pastorale frappée, tout au long du xx siècle, par un exode important de sa population, qui émigre vers les villes italiennes, européennes, mais aussi vers l’Amérique du nord (Canada, Californie). Ici, la fête patronale dédiée au Saint Patron du village, San Domenico Abate, ermite bénédictin guérisseur et prédicateur très présent dans la mémoire et les traditions orales d’une vaste aire transfrontalière qui couvre plusieurs régions administratives reliées depuis des siècles par des pratiques de pèlerinage, réunit aujourd’hui une vaste communauté de la diaspora (villageoise et régionale). Protagonistes du rituel, gardiens de la mémoire historique de la fête et acteurs de la transmission des savoirs, les « dresseurs » de serpents cultivent des pratiques de la nature complexes et passionnantes : « i serpari » sont en effet capables de capturer, de garder en captivité, d’apprivoiser et dédier au Saint Patron diverses espèces de serpents, relâchés  à la fin du rituel dans leur milieu naturel. Ce milieu est profondément marqué et forgé par les activités humaines et en particulier par des siècles d’agropastoralisme montagnard.

Le projet de candidature à la LSU (Liste de Sauvegarde Urgente), est né d’un dialogue entre la municipalité, deux associations locales, des chercheurs anthropologues et juristes, dans un terrain animé et travaillé depuis des décennies par des chercheurs de traditions populaires à l’origine des nombreuses études et de la création d’un musée ethnographique sur la « fête de San Domenico Abate e rito dei serpari ». A ces travaux il faut rajouter, depuis les années 2000, un projet original de « sauvegarde de l’espèce », initiative de la municipalité et des biologistes herpétologistes, chargés de protéger… à travers les serpents, le rituel des interdits liés à l’institution du Parc National  (Parco nazionale di Abruzzo, Lazio e Molise)

La rencontre entre anthropologues et biologistes, avec la collaboration active des porteurs de connaissances traditionnelles, les serpari rend ce projet particulièrement intéressant. Les anthropologues sont engagés dans un chantier d’ «inventaires participatifs », coordonné par l’Université de Rome La Sapienza. Anthropologues et biologiste travaillent dans un partenariat étroit avec la communauté d’héritage, en particulier les serpari, vrais protagonistes de la scène locale.

En 2014, un « protocole d’entente » formalise la création d’un vaste réseau d’acteurs, qui s’engagent à former ensemble une « communauté d’héritage » (selon la définition de la Convention  du Conseil de l’Europe de Faro, 2005) pour soutenir la candidature de Cocullo.

Cette candidature voudrait contribuer à combattre la fatalité et la sensation de perte qui hante le village, serré entre la crise économique, la  déprise agropastorale, l’horizon de la diaspora et du départ, comme seul avenir pour les jeunes du pays.

Au neuvième Comité de Paris, en 2014, au sein du Forum des ONG et des réunions du groupe de travail « Heritage Alive », le projet de Cocullo est présenté autour de 4 axes/questions clés :

 

-       comment générer, à travers la sauvegarde et valorisation d’un élément du patrimoine culturel, une nouvelle énergie culturelle, économique et sociale ?

-       Que peut un projet de sauvegarde du PCI, à travers des manières innovantes d’identifier et documenter le PCI favoriser et même bâtir la participation des diverses communautés, groupes et individus intéressés ?

-       La large communauté transfrontalière de la diaspora migratoire qui participe à la fête, peut-elle devenir actrice d’une solidarité planétaire capable de renverser le déclin du village, et provoquer/favoriser une renaissance de son économie et de sa vie, tout au long de l’année ?

-       Entre l’« élément » et son contexte, la sauvegarde du rituel passe par la revitalisation de l’économie locale. Celle-ci demande la mise en place d’un projet global de développement, basé sur la connexion entre capital naturel et culturel des communautés de montagne, dans une approche intégrée. Un défi, un engagement, un acte d’espoir dans l’avenir, comme champ des possibilités.

 


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